Le documentaire du réalisateur sénégalais Papalioune Dieng, présenté en avant-première au Musée des civilisations noires de Dakar, revisite les péripéties du génocide contre les Tutsi rwandais. Mais il met surtout en évidence les ressources morales qu’ont eu ses dirigeants pour reconnecter le pays au monde en si peu de temps…
Vérité et délicatesse, d’une part. Tragédie humaine et dynamique politique de reconstruction, d’autre part. C’est en quelques mots que le professeur Ibrahima Wane, de la Faculté des lettres et sciences humaines (FLSH) de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad), a résumé les 90 minutes du documentaire « EJO TEY - Téranga au pays des Mille collines » dont l’avant-première était projetée le 2 juillet 2025 au Musée des civilisations noires (MCN) de Dakar devant un public nombreux et conquis au terme de la séance. Un voyage dramatique dans le Rwanda d’hier (EJO, en langue Kinyarwanda) dévasté par un mouvement génocidaire pro-Hutu de très grande ampleur dont les Tutsi ont été les grandes victimes. Une fenêtre d’espoir sur le Rwanda post-génocide (TEY, en langue Wolof), debout et porteur d’une vision réconciliatrice dont le moteur aura été la justice avec des tribunaux populaires (Gacaca), implantés jusqu’au fin fond des zones rurales, au plus près de ces lieux devenus mémoriels où le Hutu Power a pu déployer ses capacités de destruction.
« EJO TEY - Téranga au pays des Milles collines » est un long-métrage du réalisateur sénégalais Papalioune Dieng avec le montage de Laure Malécot et une musique originale de Cheikh Ndoye. Son « fil conducteur » se nomme Abdarahmane Ngaïdé. Le choix de l’historien d’origine mauritanienne pour mener la narration du documentaire n’est peut-être pas innocent. A la fois historien et « artiste atypique », selon les propos du Pr Ibrahima Wane, le Pr Ngaïdé est aussi d’une certaine manière une victime de la violence : les événements sénégalo-mauritaniens de 1989 qui l’ont contraint à l’exil au Sénégal. Une expérience tragique dont le vécu aura contribué à asseoir sa légitimité au cœur du film. A Butare, Murambi, Bisesero, Kigali, etc., la caméra rappelle les heures atroces de l’extermination des Tutsi, sa planification « scientifique », ses réseaux de complicité active et passive, les duperies tactiques comme celle qui a attiré et massacré des dizaines de milliers de personnes à l’institut technique de Murambi…
Dans le style posé et pédagogique qui le caractérise, Ngaïdé ne raconte pas seulement les péripéties insoutenables du génocide contre les Tutsi car elles sont en grande partie connues aujourd’hui. Il impose avec malice et adresse une réflexion permanente sur les ressorts de la violence dans des contextes politiques et sociologiques fragiles. Par exemple, quand les institutions, les élites et les intelligences collectives se soumettent pieds et poings liés aux démons de la supériorité ethnico-raciale de droit. Où lorsque la fameuse et perfide « communauté internationale » qui s’est arrogée le devoir de régenter le monde agit (ou croise les bras) en suivant ce que lui suggère l’algorithme du calcul de ses intérêts généraux.
« EJO TEY - Téranga au pays des Milles collines » est également un hommage au Sénégal, à ses intellectuels, à son hospitalité. Les Rwandais en témoignent dans le film, souvent avec déférence et respect. L’accueil d’étudiants et de citoyens rwandais ayant fui leur pays au long du processus d’extermination de centaines de milliers de Tutsi et leur intégration dans le tissu local sont magnifiés.
Dans l’autre sens, les Sénégalais sont omniprésents dans le documentaire. Le vieux Bara Guèye en est un. Il s’est fondu dans ce pays après une quarantaine d’années de présence. Ses enfants, dit-il, ne parlent pas un traître mot de Wolof, ils grandissent avec le Kinyarwanda. A son corps défendant, il a été un acteur indirect du génocide par sa capacité à cacher des Tutsi dans sa maison de Kigali. Aux miliciens Interhamwe qui faisaient la ronde des quartiers pour dénicher des « rats » à passer aux machettes, il faisait croire que lui ressortissant Sénégalais n’hébergeait personne…
L’écrivain Boubacar Boris Diop et le capitaine Mbaye Diagne sont deux autres figures incontournables du documentaire. Auteur du roman « Murambi, le livre des ossements », le premier facilite grandement la compréhension des mécanismes du génocide contre les Tutsi par sa parfaite maitrise de l’ethnographie locale. Le second, militaire au service des Nations unies, se retrouve derechef honoré par le courage et l’abnégation dont il fait preuve pour sauver des vies menacées par la violence Hutu. Sa femme lui a rendu hommage, une fois de plus…